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INTERVIEW #182 – MAXIME LE FORESTIER @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW MAXIME LE FORESTIER PAR DIEGO*ON*THE*ROCKS

On ne présente plus Maxime Le Forestier ! A 73 ans, il est l’un des artistes incontournables de la chanson Française. Entre deux phases de la tournée pour défendre son 16ème album studio, le poète revisite le répertoire de Georges Brassens accompagné de trois musiciens et rend un hommage qualitatif au Sétois préféré des septuagénaires. Avant son concert au Théâtre Femina de Bordeaux, Maxime a accepté l’interview proposée par Musiques En Live. Celle-ci est conduite par Diego sous le regard photographique de Laurent Robert.

DIEGO : A 73 ans, qu’est ce que Bruno Le Forestier (votre vrai prénom) pense de la carrière de Maxime ?

MAXIME LE FORESTIER : C’est une carrière composée de hauts et de bas et je n’imaginais pas que cela durerait aussi longtemps ! J’ai commencé à 16 ans en 1965 et je ne m’appelais déjà plus Bruno… mon premier album est sorti en 1972.

 

DIEGO : D’ailleurs le nouvel album live sorti en novembre 2022 qui représente un marqueur de votre carrière n’est-il pas le meilleur moyen de découvrir votre oeuvre ?

MLF : Tous les deux albums je sors un album en public et je pense que les albums studios sont des marqueurs de ma carrière, bien plus que les live. Les musiciens qui m’accompagnent sont des gens très importants et ces albums rappellent les collaborations scéniques. Vous avez raison sur le fait que mon dernier album en public est idéal pour me découvrir malgré quelques absences notamment sur la période années 80. Les titres étaient moins accessibles et musicalement j’ai fait des voyages de toutes sortes au fil des années.

 

DIEGO : Lorsque vous composez, la mélodie amène le texte ou le texte fait naitre la mélodie ?

MLF : L’un ou l’autre mais parfois c’est la ligne de basse et la rythmique. Une phrase peut entrainer une rythmique et générer un texte, j’ai tout essayé ! L’image du poète assis sur une chaise avec sa guitare en mains est fausse… éventuellement vous pouvez m’imaginer avec un ordinateur en train de retranscrire mes idées ! Mon premier date de 1983 notamment sur l’album “Les Jours Meilleurs” composé uniquement avec des synthétiseurs. Nous étions peu nombreux à l’époque !

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DIEGO : Jean Michel Jarre était précurseur !

MLF : J’ai travaillé avec Georges Rodi qui est le joueur de synthétiseur qui fabriquait les sons de JMJ. Nous sommes liés avec Jean Michel par Georges Rodi et par “La Semaine Du Son de l’Unesco”. Les synthétiseurs analogiques sont révolutionnaires contrairement aux samples des synthétiseurs numériques. La différence est dans la forme donnée à l’onde via un courant électrique et des filtres. J’ai arrêté le synthé avec l’arrivée du numérique.

DIEGO : C’était du bidouillage à cette période ! 

MLF : Exactement ! Et de la sculpture du son.

 

DIEGO : Pour parler de votre dernier album studio “Date Limite”, ne sommes-nous pas tous nostalgiques de l’insouciance enfantine ?

MLF : Oui. Pourtant je ne suis pas très nostalgique sauf lorsqu’elle est chantée par Brassens et Souchon. Néanmoins la chanson est une machine à fabriquer la nostalgie et permet des repères dans le temps.

 

DIEGO : Qu’est ce qu’un auteur comme Bruno Guglielmi apporte à la chanson Française actuelle ? Il a collaboré avec de grands noms et notamment le votre !

MLF : J’ai été le premier car Bruno est un copain de mon fils. Il avait écrit une chanson qui s’appelait “Fils De” qui avait intrigué Arthur il y a une dizaine d’années. Suite à leur échange, ils sont devenus les meilleurs copains du monde. J’avais composé “La Vieille Dame” et mon fils a retrouvé “Les Filles Amoureuses” sur un ordinateur qui ont été les premières chansons de cet album. L’énergie de Bruno a été utile pour le texte de “Date Limite”

 

DIEGO : Dans la conclusion du titre “Le Grand Connard”, doit-on comprendre que la femme sauvera l’homme ?

MLF : Oui ! La subtilité est là. J’ai mis du temps à trouver la conclusion… qu’allais-je faire de ce grand connard ? J’ai décidé de le sauver…

 

DIEGO : La femme est l’avenir de l’homme ! La preuve dans les mots de Jean Ferrat et Maxime Le Forestier. Autre auteur plus discret, Philippe Lafontaine. Comment est née votre amitié ?

MLF : A Montréal en 1990. “Coeur De Loup” marchait même sur les radios Anglophones et Philippe était en promo de son côté, moi pour l’album “Né Quelque Part”. Au Québec, une polémique était née sur une phrase de sa chanson (“La victime est si belle et le crime est si gai”). Des féministes de l’époque avaient compris une incitation au viol… un boycott était né. En débarquant de l’avion légèrement éméché, Philippe Lafontaine a été accueilli par des journalistes de tous les horizons mais pas que musicaux et son agent ne l’avait pas prévenu… un peu bourré et un peu ignorant, il a répondu à une question posée : “Je n’ai pas vu d’incitation au viol en écrivant ce texte mais si certains l’ont compris ainsi, c’est qu’ils ont peut-être envie de se faire violer…” En voyant ça à la télé locale, j’ai compris qu’il fallait que je le rencontre rapidement ! (rires)

Sa semaine fut difficile mais nous avons réussi à nous retrouver dans un bistrot de Montréal. Il était tendu car il me considérait comme un mythe ! Je lui ai répondu que les mythes ne font ni pipi ni caca… nous sommes allés pisser ensemble contre un mur et depuis cette anecdote, on s’appelle tous les lundi matins !

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DIEGO : D’ailleurs la chanson “Mon Ruisseau” qu’il a composée pour votre dernier album est superbe ! 

MLF : Elle est superbe et composée pour deux voix. Nous l’avons écrite à Authon, chez moi dans le Loir et Cher. Plusieurs interprétations sont possibles sur le texte, le chemin de vie, le temps qui passe, les choix, l’écologie… 

 

DIEGO : Dans la jeune génération, vous aimeriez écrire des chansons pour certains ?

MLF : Écrire non. Certains m’apportent des chansons pour avoir mon avis, je suis implacable dans mon jugement. Je fais comme si c’était pour moi et j’admire leurs capacités à supporter mes choix ! Après, tous les jeunes artistes n’ont pas besoin de mon avis ! 

 

DIEGO : Dans tous les métiers, il faut écouter les anciens.

MLF : Cela m’est arrivé lorsque j’ai écrit “Ballade Pour Un Traitre” qui a été chantée (entre autres) par Reggiani. J’étais jeune, je vois Pierre Delanoé et lui montre ma chanson. Il me dit : “Vous avez mis combien de temps pour écrire ça ?”, je réponds : “Deux mois”. Il me dit : “Vous ne serez jamais un auteur !” (rires)

 

DIEGO : Énorme ! Dans quelques années, pourriez-vous faire comme la famille DUTRONC, une tournée père-fils ?

MLF : Dans le dernier spectacle, Arthur chante deux chansons avec moi et sur la tournée Brassens, il joue de la guitare rythmique. Après, nous n’avons pas la même carrière et c’est Thomas qui a poussé Jacques à accepter ces concerts. Pierre Souchon fait pareil avec son père. C’est une manière de les maintenir en vie ! Néanmoins c’est une superbe expérience de jouer avec son fils sur scène d’autant plus qu’Arthur est nettement meilleur que moi à  la guitare. Pourquoi pas lorsqu’il aura plus de chansons personnelles… 

 

DIEGO : Surtout lorsqu’on à Manu Galvin en guitariste soliste sur scène ! 

MLF : C’est ça ! Et ce qui est beau c’est que Manu a enseigné la guitare à Arthur ! J’ai le maitre et l’élève en même temps. D’ailleurs Thomas Dutronc est un super guitariste qui est resté 10 ans avec Bireli Lagrene.

DIEGO : Une référence du jazz, blues et manouche ! Côté voix je trouve que vous êtes comme Jacques et Johnny. Elle s’embellit en vieillissant !

MLF : C’est l’histoire que raconte Marc Lavoine vécue au concert de Michael Jackson au parc des princes. Johnny arrive et lui dit : “Tu bois un coup ?”, Marc répond : “Non je ne bois pas”. Johnny lui propose une clope, il refuse également. Puis il lui dit : “Ah, tu ne bois pas, tu ne fumes pas, c’est pour cela que tu n’as pas de voix !” (rires) Je précise qu’il s’agit d’une histoire vraie !

 

DIEGO : Étant donné qu’on parle des copains chanteurs : Un artiste est-il plus fidèle à sa guitare ou à sa compagne ? Votre réponse ne sortira pas des loges du théâtre Femina… 

MLF : Je ne suis pas très fidèle à ma… … guitare. (rires)

 

DIEGO : (mort de rire) une période musicale a été plus difficile qu’une autre ?

MLF : Oui, le début des années 80. Fin 70 j’ai voulu changer de style car la musique que je produisais ne correspondait plus à celle que j’écoutais. J’étais loin de Stevie Wonder et je souhaitais intégrer de la batterie et de la guitare électrique à mes compositions. J’ai sorti “N°5” en 1978 et je n’ai pas su bien le faire. Malgré la présence de quelques musiciens Québécois, le résultat fut passable. Ensuite j’ai appris avec Jean Schultheis et Crapou (de son vrai nom Gérard Kawczynski) puis les synthétiseurs sont arrivés. “Les Jours meilleurs” est mon plus grand bide ! Trouver le son qui convient n’est pas simple. D’ailleurs Pats, mon ingénieur du son en concert me suit depuis 20 ans… il connait la sonorité qui est mienne ! Le plus drôle étant que ses deux clients principaux sont Le Forestier et Elmer Food Beat !

 

DIEGO : Deux styles assez proches ! (rires)

MLF : Et des sons opposés ! Je joue quasiment acoustique alors que le groupe Elmer Food Beat joue très fort. 

 

DIEGO : Avez-vous vu en concert Ayo récemment ?

MLF : Malheureusement non. Je sais qu’elle interprète “Né quelque Part” avec brio. Une grande chanteuse d’une gentillesse incroyable. Je pense que c’est la plus belle reprise de cette chanson. 

 

DIEGO : La version de “Né Quelque Part” dans votre dernier live est également très épurée !

MLF : Oui, une version à une seule guitare (Arthur) créée suite à un gala pour un chirurgien au Congo qui a étudié en France. C’est un cadeau guitare-voix que j’aime beaucoup.

DIEGO : Autre sujet, lorsque vous avez repris “Mon frère” à la fin des années 90 avec Goldman et Bigard au Bataclan ! Jean Jacques était hilare et il manque à tout le monde !

MLF : Oui c’était pour un spectacle de Bigard, il n’y avait qu’une caméra témoin et c’était un moment incroyable de scène. C’est con parce que j’adorais Jean Marie mais son diabète le fait délirer. Il était très proche des enfants diabétiques et était généreux. Il a dérapé dans le complot.

Concernant Jean Jacques, on s’appelle de temps à autre. Il est très heureux comme ça. C’est un artiste de studio qui n’aimait pas la scène. Dans sa loge au zénith à 20H, il se demandait ce qu’il foutait là ! Il préfère être devant son journal TV qu’en concert… 

 

DIEGO : Pour la tournée hommage à Brassens, le choix des chansons est-il compliqué ?

MLF : Oui ! Je connais toutes les chansons mais je souhaitais un autre programme que “tirer au sort”. C’est un choix personnel sans grande réflexion, la set-list évolue doucement afin que les musiciens s’adaptent et Manu (guitare) comme Étienne (basse) font un boulot extraordinaire. L’instrumentation est similaire à celle de Brassens mais les arrangements diffèrent. Il y a beaucoup de réflexion.

A l’époque lorsque j’ai découvert le poète, les chansons étaient inconnues car elles étaient enregistrées après avoir été rodées durant deux mois de scène. En fait, il allait en studio une fois que les chansons étaient abouties lors des concerts donnés. Celles-ci évoluaient d’une manière imperceptible pour le novice. Nous allions à Bobino pour découvrir les titres et j’ai eu le privilège de chanter ceux qu’il n’a pas eu le temps d’enregistrer en studio. Ce soir je vais en interpréter 5 ou 6, je les appelle les “chansons du prochain album”.

 

DIEGO : Un peu comme si vous aviez vécu en direct les démos des chansons avec l’évolution naturelle au fil des soirs. Avez-vous un rituel avant d’entrer en scène ?

MLF : Oui ! La sieste obligatoire ! J’ai besoin d’une demi-heure pour dormir. 

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DIEGO : On va vous laisser vous reposer alors mais j’ai pour habitude de finir avec ma question fétiche : quels sont les plus beaux concerts que vous avez vus en tant que spectateur ?

MLF : J’en ai vu beaucoup ! Evidemment, je dois citer les concerts de Brassens à Bobino auxquels j’ai assisté côté jardin en coulisses. J’ai appris le minimalisme avec ce petit sourire avant de sortir une vanne qui accrochait le public pour ne pas le lâcher. Également après mon service militaire avec ma soeur, j’ai assisté au festival de Bath en 1970 avec Pink Floyd. Il pleuvait, un souvenir incroyable. Récemment, le dernier concert de Benoit Doremus à la Cigale de Paris dans lequel il chante “La Danseuse Blessée”. J’ai adoré la cohésion entre l’artiste et son public.

Pour finir avec Brassens, j’ai vu 21 représentations et cela m’a marqué à vie. 

 

DIEGO : Et vous continuez à le faire vivre ! 

MLF : Oui. Je lui dois ma vie professionnelle. Sans lui je ne serais pas devenu chanteur. C’est une époque où l’artiste se présentait devant son public avec une cravate.

 

DIEGO : Fumait-il la pipe sur scène ?

MLF : Non. Il respectait le public avec lequel il avait une relation particulière. Avant son tour de chant il les appelait “Ces cons-là”, et après le spectacle “Mon public a du talent”. (rires) 

 

DIEGO : Merci infiniment Maxime pour cette belle interview, et bonne sieste !

MLF : Merci à vous.

  • Remerciements : Manon d’ASTERIOS / Maxime Le Forestier
  • Photos : Laurent Robert
  • Relecture : Jacky G.