TIKEN JAH FAKOLY MeL

INTERVIEW #179 – TIKEN JAH FAKOLY @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW TIKEN JAH FAKOLY PAR DIEGO*ON*THE*ROCKS

De “Dernier Appel” à “Françafrique”, Tiken Jah Fakoly a ravi le public Bordelais lors de son passage au Rocher de Palmer le 1er décembre 2022. A 54 ans, l’Ivoirien qui vient de publier “Braquage de Pouvoir” a accepté de recevoir Diego et la photographe Emmanuelle Derrier pour Musiques En Live dans sa loge.

Fidèle à ses convictions, il répond sans détour et s’inquiète d’une révolution naissante dans la jeunesse Africaine.

DIEGO : La devise Française est “Liberté, Égalité, Fraternité”. L’égalité est-elle la plus importante à vos yeux ?

TIKEN JAH FAKOLY : C’est très important et indispensable. Lorsque tout un peuple est traité de la même manière comme cela est le cas en France, il y a moins de palabres et l’être humain a besoin de ça. 

 

DIEGO : La situation migratoire que vous reprenez dans vos chansons (“Où est-Ce Que Tu Vas ?”) est-elle le sujet prépondérant dans l’actualité de 2022 ?

TIKEN JAH FAKOLY : C’est un sujet entre l’Afrique et l’occident et comme vous l’avez remarqué durant mon concert, j’ai tenu un discours clair. L’injustice est flagrante, tout le monde sait que les hommes occidentaux peuvent se servir en Afrique mais que les Africains sont mal acceptés en occident. Tout bougera lorsque la jeunesse Africaine dénoncera cette situation.

 

DIEGO : Ce n’est pas le cas actuellement ?

TIKEN JAH FAKOLY : Non car la majorité des Africains sont illétrés et la pauvreté est l’inquiétude permanente des pays qui composent ce continent. Tôt ou tard, les Africains se lèveront pour manifester leur mécontentement devant le monde. 

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DIEGO : D’autant plus qu’avec les réseaux sociaux, l’Afrique voit l’occident !

TIKEN JAH FAKOLY : Complètement et cela renforce notre combat dans le réveil de l’Afrique. Si nos parents avaient eu ces outils rassembleurs, peut-être qu’aujourd’hui la situation serait différente et que la révolution Africaine aurait déjà eu lieu. Dans notre jeunesse, nous correspondions par lettre et attendions une semaine pour avoir une réponse, aujourd’hui l’époque sms a révolutionné la communication. Désormais le peuple uni a le pouvoir, faut-il qu’il s’en persuade !

 

DIEGO : La religion est très importante également dans vos chansons (“Ça Va Aller”, “Religion”). Que représente le carré blanc visible dans le clip ?

TIKEN JAH FAKOLY : Il s’agit d’un clip de Thomas Cadoux et derrière le carré blanc il faut imaginer la mort. On voit un enfant qui court et il faut imaginer l’inconnu derrière ce carré, comme une interrogation. Le réalisateur a été contacté par ma boite de production. 

 

DIEGO : Une autre belle chanson dans le dernier album : “I Can Hear”. N’est-elle pas la chanson la plus reggae musicalement de vos dernières compositions ?

TIKEN JAH FAKOLY : C’est vrai ! C’est la plus roots avec Winston Mac Anuff et je vous remercie pour le compliment, cela me touche sincèrement. 

 

DIEGO : Actuellement comment se porte l’Afrique et plus précisément la Côte d’Ivoire, votre pays d’origine ?

TIKEN JAH FAKOLY : L’Afrique est en mouvement et la Côte d’Ivoire est plus stable actuellement qu’il y a quelques années. Le souci étant que la guerre politique, de pouvoir, continue. Les régions sont différemment administrées et la religion est parfois trop importante. Tout le monde veut tirer le pouvoir à soi et la démocratie n’est pas adoptée. L’injustice est dénoncée mais la stabilité revient petit à petit, c’est une bonne chose.

 

DIEGO : L’ambiance “Blaguer-Tuer” (NdA : faux-cul) dénoncée dans vos chansons persiste t’elle ?

TIKEN JAH FAKOLY : Nous sommes toujours dans cette ambiance car une indépendance a été décrétée dans la journée et le pouvoir malsain est revenu dans la nuit. La France a contrôlé beaucoup de choses depuis les années 70 et la jeunesse actuelle refuse cette dictature. La vraie indépendance économique réclamée depuis 50 ans a été éjectée du pouvoir pour mettre des marionnettes manipulées et soudoyées par l’occident. Jacques Foccart faisait et défaisait les hommes d’état en Afrique sous la présidence du Général De Gaulle et de Pompidou. Aujourd’hui la jeunesse a découvert ce complot et le dénonce, il faut libérer nos chefs d’état actuels de l’emprise colonialiste passée. 

 

DIEGO : Personnellement je doute que les politiciens Français soient meilleurs que les politiciens Africains… ils pensent d’abord à eux avant de se soucier des autres !

TIKEN JAH FAKOLY : Je pensais aux rapports entre les politiciens et la population. Ils prétendent nous aider mais il est anormal que l’Afrique soit dans une telle situation économique. Connaissez-vous beaucoup de “petits blancs” qui ne mangent pas de chocolat ? La Côte d’Ivoire produit 40% de la production mondiale de cacao. Le Ghana 20% et le Nigéria 15%. A qui profite cette exploitation ? Et tout le monde parle de chocolat Suisse… c’est paradoxal ! Je pense que le peuple Africain doit se réveiller et se lever pour dénoncer ces anormalités. Malheureusement les dénonciateurs sont assassinés ou éjectés du pouvoir.

DIEGO : Revenons à votre dernier album. Comment est née la chanson “Gouvernement 20 ans” ?

TIKEN JAH FAKOLY : Cette chanson est inspirée des condamnations subies par les opposants qui sont souvent de 20 ans. La liberté d’expression étant menacée, la démocratie bafouée, les dirigeants utilisent le pouvoir judiciaire pour condamner leurs opposants. J’ai décidé de dénoncer ces faits dans la chanson “Gouvernement 20 ans”. En France le Procureur peut aller dans le sens inverse du chef de l’état sinon Tapie, Balkany, Cahuzac et Woerth n’auraient jamais été inquiétés ! Chez nous, le pouvoir et les gens influents sont liés d’une amitié protectrice.

 

DIEGO : Chez nous aussi mais même en étant discrets, ils sont rattrapés par les affaires et dénoncés par Médiapart qui reste très orienté politiquement ! Vous avez  fait un duo avec Grand Corps Malade, comment l’avez-vous rencontré ?

TIKEN JAH FAKOLY : Nous avons joué dans le même festival, il a assisté à mon concert et j’ai été touché par sa démarche. J’ai écouté sa musique, ai aimé son flow et ses textes. Je lui ai proposé une collaboration sur les enfants de la rue et les parents irresponsables. Il a accepté. 

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DIEGO : Vous avez fait beaucoup de collaborations, certaines manquent-elles à votre panel ?

TIKEN JAH FAKOLY : Il y en aura d’autres ! J’aime les vrais featurings émanant d’une rencontre comme celle avec Bernard Lavilliers. Il faut donner la chance au “jamais vu” entre deux artistes, si c’est une question d’argent, il n’y a pas d’intérêt. Toutes mes collaborations viennent du coeur.

DIEGO : Ce soir, vous avez enflammé le Rocher de Palmer à Cenon devant 1200 personnes. Vous produire en festival doit être monstrueux niveau ambiance ?

TIKEN JAH FAKOLY : Je pense que le public est très important pour tous les artistes et le malheur d’un chanteur est de se retrouver devant une salle vide. Avoir du monde est très plaisant et donne une énergie réceptive que nous renvoyons. Actuellement nous sommes dans une bonne séquence. D’autres concerts arrivent en mars et à l’été 2023. 

 

DIEGO : Le festival FESTIKABADOUGOU en Côte d’Ivoire existe t’il toujours ?

TIKEN JAH FAKOLY : Non. C’est fini car les artistes engagés n’arrivent pas à obtenir de sponsors sans passer par les politiques. Le reggae est une musique contre-pouvoir comme l’ont fait Bob Marley et Peter Tosh. Il ne faut pas faire copain-copain avec les politiques au risque d’avoir une panne de micro ! (rires) Voilà les raisons pour lesquelles FESTIKABADOUGOU n’a pas duré car nous n’avions plus les parrainages nécessaires. Un festival musical n’est pas une tribune ouverte aux politiques. 

 

DIEGO : Quels sont les meilleurs concerts auxquels vous avez assisté ?

TIKEN JAH FAKOLY : J’en ai vu beaucoup que ce soit des artistes connus ou méconnus ! J’ai adoré Alpha Blondy et Ismael Isaac qui n’est pas populaire en France mais très important en Côte d’Ivoire. Je n’ai pas eu le chance de voir Bob Marley qui devait venir chez nous avant sa mort en 1981. Un ministre a prévenu le chef de l’état des risques concernant la drogue s’il venait en Côte d’Ivoire et son concert a été annulé. Résultat : Pas de Bob Marley et le cannabis est très consommé dans le pays depuis 40 ans ! (rires)

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DIEGO : Belle anecdote ! Merci Tiken et a bientôt sur les routes de France.

TIKEN JAH FAKOLY : Merci à vous deux. 

 

  • Remerciements : Nicolas Humbertjean
  • Photos : Emmanuelle Derrier
  • Relecture : Jacky G.