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LE CABARET VERT 2019 À CHARLEVILLE-MÉZIÈRES – LIVE REPORT @ LAURINE RIBEIRO

Bien loin de Bordeaux, du côté de la frontière avec nos amis Belges, se tient chaque année depuis 2005 le Cabaret Vert. Sur les bords de la Meuse, ce sont pas moins de quatre scènes qui sont alors déployées pendant quatre jours de festivités. Pour cette édition 2019, le lieu a accueilli 102 000 personnes, son record, alléchées par la programmation haut de gamme et hétéroclite.

            Ocean Alley 002Ainsi, si vous aimez la pop rock ensoleillée, et que vous avez aimé profiter de la plage cet été, vous pouvez vous diriger dès votre arrivée vers le groupe Ocean Alley. C’est à 6 qu’ils débarquent sur la scène de taille moyenne “Illuminations”. On retrouve aisément leurs origines australiennes dans leurs longs cheveux blonds, un style hippie-surfer accroché à leurs barbes plus ou moins fournies. Le groupe décrit sa musique comme un surf-rock psyché, à cela s’ajoutent des touches reggae ainsi que la voix soul de Baden Donegal. Avec deux albums à son actif, Ocean Alley bénéficie depuis deux ans d’une petite visibilité internationale. Il ressemble ainsi à de nombreux groupes fournissant le même genre de pop rock lente et rêveuse, une musique sympathique qui permet d’avoir un moment de gloire mais ne peut le distinguer de la multitude de ses semblables. Cela leur aura permis de nous apporter une agréable ambiance de plage australienne jusque dans les terres ardennaises.

            Mais maintenant, si il vous faut du tonique, du son déchaîné, c’est en enchaînant que vous pourrez vous diriger vers la grande scène du festival, “Zanzibar”, où se produisent ce soir les Prophets of Rage. En tournée depuis 2 ans, le groupe passait ainsi par l’Olympia le 8 août dernier. Pourtant créé en 2016, le groupe a déjà énormément fait parler de lui, et pour cause : il est la réunion de membres renommés venus de Rage Against The Machine, Public Ennemy et Cypress Hill. Assemblés après la dernière campagne américaine, ils sont décidés à crier ensemble leur rage envers le monde d’aujourd’hui. On devine aisément ce que la fusion rap et rock produit sur scène, surtout lorsque certains classiques des trois groupes sont joués devant les festivaliers déchainés. Au bout de dix minutes, ceux-ci se retrouvent déjà les jambes en l’air au-dessus de la foule. Le slam fait son apparition et n’est pas prêt de quitter les rangs avant la fin du festival. Il est vite rejoint par le pogo, invoqué par les artistes dès le troisième morceau. Le groupe a trouvé son public. Ce fut dès le premier jour l’occasion pour le Cabaret Vert de montrer que l’ambiance serait au rendez-vous et qu’on allait en voir de toutes les couleurs.

            21 pilots 018De toutes les couleurs, et surtout du jaune, puisque les fans de Twenty One Pilots, dont c’est la couleur fétiche, sont venus en masse. Ce groupe américain, composé uniquement de deux artistes, s’est fait connaître il y a quelques années et a énormément gagné en notoriété, en gagnant par exemple un Grammy Awards ou en regroupant énormément de fidèles à travers le monde. C’est donc devant les cris de la foule en délire que les deux protagonistes prennent place. L’un derrière à la batterie, l’autre à l’avant. Ils arrivent cachés sous des tenues épaisses et pourraient être méconnaissables si ils ne commençaient directement avec un de leur tube. Le duo balance un rock très pop et actuel, le flow rapide des paroles apporte un côté hip-hop qui plaît à beaucoup. Quand on connaît un peu le groupe, le concert devient un plus presque incontournable. En effet, les morceaux diffèrent de leur version originale, mais en perdant du rock pour gagner en pop électro, ce qui a pu décevoir. De plus, il faut noter l’effort porté sur la mise en scène qui a tout d’un show à l’américaine avec force flammes et effets visuels.

            Si vous êtes quelque peu déçu, vous pouvez filer vers quelque chose de beaucoup plus minimaliste. L’une des deux petites scènes du festival se nomme “Razorback” et a pour surnom Rock’N’Roll Club, c’est en effet là que se retrouvent tous les groupes rock indé, garage ou punks. La découverte du jour est un jeune groupe de français, Johnny Mafia. Ce sont quatre vingtenaires, ayant créé leur groupe en 2010 alors qu’ils n’étaient que lycéens, qui agitent les scènes de France depuis. On est tout de suite balayé par leur garage punk rock vrombissant. Ils mettent le feu aux planches en vagues survitaminées mais précises, leur sens du rythme n’est en aucun cas altéré par l’énergie débordante que les jeunes chevelus déploient sur scène. Une excellente façon de terminer en beauté la première journée de festival.

            Si le rock et la pop du premier jour ne sont pas votre tasse de thé, peut-être préférez vous le reggae worldwide du fils de Bob, le talentueux Ziggy Marley. Celui-ci a en effet su incorporer des éléments nouveaux à sa musique originelle, offrant du renouveau à son héritage. Ziggy est surtout là pour nous partager ses élans d’amour universel et ses envies de rébellion, tel est son but depuis déjà sept albums. A travers tous ses plus beaux morceaux, comme il le dit, « Love is my religion ». Il arrive sur la grande scène avec un simple jean, mais surtout accompagné de son armada de musiciens et de ses deux choristes habituelles, charmantes dans leur façon d’interagir constamment avec le public comme avec des connaissances. Ses mélodies vont doucement balancer le public, pour un début de journée en douceur et des coeurs de festivaliers remplis d’amour. Quand on sait que c’est IAM qui prendra place sur cette scène dans à peine une heure, on profite à fond du calme qui règne dans le public.

            Mais entre les deux, pourquoi ne pas faire un écart par la scène Illuminations pour écouter Israel Nash ? Il faut dire qu’on nous le vend bien : « Neil Young a bouffé les Beach Boys et Creedence ». Israel Nash est un américain hippie avec des tatouages, de longs cheveux blonds-gris et des lunettes de soleil. Sa musique est pop et country, on se retrouve dans les steppes américaines, au milieu d’un ranch où l’on prône le retour sur soi. C’est ce que nous propose l’artiste, sa musique a des accents de chants spirituels un peu psyché. C’est surtout une folk bien américaine dont on a l’habitude et qui est la marque de biens des groupes de toutes les sortes. Israel Nash ne manquera pas de montrer son enthousiasme envers la France avec son accent des States et nous aura quand même proposé une musique agréable entre deux eaux.

            I AmChangement complet de décor. Retour à la grande scène et place au hip-hop français du début des 90’s. Ce sont bien les protagonistes de IAM qui débarquent sur scène pour scander leurs plus gros tubes. Pour le premier titre, leurs visages sont affublés de masques dorés ou argentés, mais leurs voix sont reconnaissables. De grosses voix rapides mais claires. Les fans sont au rendez-vous et les paroles sont reprises en choeur par la multitude. Les morceaux du groupe sonnent comme des slogans que tout le monde connaît, c’est le son de l’injustice que l’on dénonce. L’ambiance et la décoration respectent la fascination du groupe pour les cultures asiatiques et égyptiennes. Bref, tous les codes sont présents pour revivre les année 90 du groupe, avec une apogée lorsque des milliers de personnes retrouvent les pas de danse du Mia sous l’oeil amusé des artistes.

            Courtney BarnettOn continue à faire nos allers-retours entre les deux scènes principales, puisque le programme est fait pour le permettre. On enchaîne donc avec Courtney Barnett, une jeune australienne, ex-championne de tennis, qui se démarque plutôt bien dans le domaine de l’indie rock. Elle apparaît en jean débardeur, arborant un mulet quelque peu revisité, accompagnée de son batteur et son bassiste. Les quelques crachats balancés durant sa prestation complètent le tableau du garçon manqué un peu grunge. Les morceaux s’enchaînent et on est très agréablement surpris. L’énergie est folle et le rock est précis. Courtney écrit elle-même sa musique et ses paroles, et montre un talent certain. Elle manie sa guitare avec exaltation, s’arc-boutant comme pour libérer toute son énergie. C’est en la voyant se lâcher sur scène que l’on peut nous aussi relâcher un peu d’énergie pour peut-être continuer cette folle soirée.

            Une petite nouvelle sur la scène musicale francophone, sa voix douce et acidulée a déjà conquis le coeur de beaucoup de personnes. La jeune belge Angèle arrive dans une tenue moulante, orange et pailletée, ses longs cheveux blonds retenus dans une habituelle queue de cheval. Au premier regard, elle apparaît seule sur scène, mais un claviériste et un batteur sont en fait présents à l’arrière de la scène, à chaque coin, surélevés à environ deux mètres du sol. Avec sa voix innocente, sucrée comme un petit bonbon, elle chante tous ses tubes devant les cris des fans. Ce n’est pas compliqué puisque presque tous ses titres sont des tubes, pour la simple et bonne raison qu’elle n’a pas produit plus d’une quinzaine de chansons, avec lesquelles elle s’amuse depuis deux ou trois ans. Elle tente cependant de faire varier les plaisirs en faisant durer les morceaux ou en les revisitant. Rien que sa longévité nous prouvent que c’est une artiste de talent qui est présente ce soir au Cabaret Vert.

           orelsan La dernière personne à passer sur la grande scène propose un chant moins doux, et un peu plus agressif. Le rappeur français Orelsan est présent pour la troisième fois en neuf ans au festival ardennais. Il prend donc aisément possession des lieux et se permet même de faire venir un ami à lui pour rapper ensemble. Les mots du jeune homme sont mâchés, mais trouvent visiblement écho dans le cœur du public qui le suit. Il montre une certaine euphorie à dire que c’est là sa toute dernière date d’une tournée qui aura duré deux ans. Dernier de la journée, il veut réveiller le public pour mieux le laisser aller se coucher. On découvre encore un peu plus ce soir la pluralité dans les artistes proposés par le Cabaret Vert, faisant figurer dans la même journée Ziggy Marley et Orelsan.

            On peut se permettre avant de partir de faire un tour par la petite scène Razorback, afin de découvrir The Murder Capital. On dit qu’en seulement un an, et à partir d’un seul live, ces Irlandais se seraient fait un nom sur la scène post-punk. La première chose qui nous intrigue est la voix ample et grave du chanteur, . Il exulte les paroles au milieu du rock de ses quatre camarades. Tous sont des électrons libres remplis d’énergie qui ne tiennent pas en place et se baladent sur les quelques mètres carrés de la scène. Avec leurs chemises blanches et leurs carrures de bucherons, on ne sait pas trop que penser, mais on sait au moins que ce qu’on écoute est bien bon.

           cabaret vert presentation 2019 002 Troisième jour, même ambiance. On démarre sur les chapeaux de roue avec un bon hard rock tout droit venu d’Australie, décidément c’est un pays qui a la côte. Le groupe Airbourne, quatre albums studio au compteur, a su se démarquer sur la scène hard rock en proposant une musique “à l’ancienne”, “comme au bon vieux temps”. Ils ont d’ailleurs déjà assuré les premières parties de AC/DC ou Motörhead, leurs modèles. Dès qu’on voit la scène, on se prépare, un mur d’à peu près 2 mètres de haut, constitué uniquement d’amplis Marshall, se dresse sur le fond de la scène, avec une petite percée au centre pour la batterie de Ryan O’Keeffe. De chaque côté, le bassiste et le guitariste, vêtus de vêtements noirs et moulants, sautent sur le devant de la scène, exécutant immédiatement un headbang sur les notes déjà survoltées de leurs instruments. Le frère et chanteur, Joel O’Keeffe, arbore un jean largement déchiré sous son torse nu, portant une griffe ou une dent d’animal au cou. Ils sont déjà totalement à fond et le public, vociférant les paroles à tue-tête, l’est aussi. Au bout de quelques minutes, le lien entre la scène et le parterre est créé, les slams battent leur plein, et les cheveux et vêtements des artistes sont déjà trempés de sueur. Les corps sont luisants. Des canettes de bière volent dans tous les sens au milieu de la foule. Le chanteur finit par ouvrir une bouteille de champagne dont il arrose son public. C’est un vrai vent de folie qui s’est abattu sur le Cabaret Vert, au son d’un hard rock explosif et sans fausse note.

          Viagra Boys2  Ce n’est pas tout de suite que l’on aura du calme, car sur l’autre scène, les Viagra Boys se mettent déjà en place. Ils sont six, dont un saxophoniste, et leur groupe nous vient de Stockholm. Il paraît que c’est un phénomène paranormale de la scène punk, ou post-punk. Ce qui frappe en tout cas, plus que la musique extraterrestre et vibrante, c’est le personnage du vocaliste Sebastian Murphy, ‘Sebbe’. Dès la première chanson, il se roule par terre et passe la moitié du temps allongé sur le dos. Il prend une rasade de bière qu’il recrache vers le ciel en une fontaine très peu glamour. Puis, il enlève son t-shirt et exhibe son torse recouvert de tatouages et sa bedaine disgracieuse. Comme pour nous répliquer qu’il n’en a rien à faire, il se dresse sur un ampli et lève ses majeurs à la foule. On dit que certains comparent son personnage et son énergie folle à ceux de gens comme Iggy Pop. Il emprunte des cigarettes aux photographes et fume tranquillement, couché et continuant à chanter dans son micro maltraité. Bref, c’est un fou sous une musique folle.

         Patti Smith   À présent, on attend l’une des vedettes du festival, une légende du rock, j’ai nommé, Patti Smith ! On le sait, elle le répète souvent, Patti Smith est une grande admiratrice du jeune poète Arthur Rimbaud. Eh bien ? Eh bien ici, nous sommes à Charlevilles-Mézières, ville où le poète est né et enterré. Et, comble de la bizarrerie, c’est la première fois que Madame Patti Smith vient chanter au Cabaret Vert, dont le nom est tout de même inspiré d’un poème de Rimbaud ! Ainsi, c’est une première qui n’est pas banale pour elle. C’est pourquoi elle nous parlera évidemment du poète local au moins deux ou trois fois dans la soirée. Toujours vêtue avec une certaine classe un peu bohème, les cheveux argentés toujours aussi longs et volatiles, elle proclame ses hymnes et sa poésie les uns après les autres, devant un public admiratif, et termine, à la demande générale, par son « Gloria » universel et transcendant. Les reprises sont toujours léchées, envoyées au firmament par sa voix profonde et céleste. Accompagnée par les musiciens qui la suivent depuis longtemps, dont son guitariste et ami Lenny Kaye, elle nous aura offert un show touchant et empli de nostalgie, un rock sans fioriture et plein de plaisir.

            Voilà pour ces quelques exemples d’artistes qui se sont représentés sur les scènes du Cabaret Vert. Mais il y en avait pour un public encore plus grand puisque la quatrième scène du festival, le « GreenFloor » était entièrement réservée aux “clubbers” et DJs, et prenait donc des allures de club branché où les jeunes surexcités se retrouvaient pour entamer une transe interminable. Parmi les artistes présents pour faire bouger les corps, le festival avait choisi de représenter surtout les femmes, telles que The Black Madonna, Maya Jane Coles ou La Fleur.

            Mais le Cabaret Vert propose aussi un espace BD, et pas des moindres puisque 58 dessinateurs et dessinatrices étaient présents pour faire des dédicaces et promouvoir leurs œuvres. Des points de vente BD étaient aussi disséminés sur l’espace et une terrasse permettait de rencontrer les invités.

            Enfin, on peut aussi citer les activités cinématographiques avec projections, les débats et bien sûr la charte de développement durable que le festival aime promouvoir depuis bien longtemps. Des espaces de restauration sont disséminés sur les lieux avec uniquement des produits locaux et, enfin, toutes les bières vendus sont artisanales et viennent de brasseries de la région.

            Le Cabaret Vert mérite son audience. Son avantage est réellement l’hétérogénéité de sa programmation. Tous les styles sont présents et toutes les tailles d’artistes, les petits rockeurs côtoient les grands rappeurs et les publics métalleux rencontrent les amoureux du reggae. Le nombre d’activités offertes interdit l’ennui, il y a toujours quelque chose pour nous satisfaire. Comme pour beaucoup de festivals, on repart enveloppé de l’ambiance formidable et gorgé d’expériences et de couleurs. Merci à tous ceux qui permettent cela chaque année.

Live Report de Laurine Ribeiro